Pour le propriétaire du domaine Château Cazebonne, il n’y a pas photo, cette vague de froid est la plus grosse catastrophe climatique de ces 50 dernières années. “Depuis quelques temps, il y a du gel chaque année. Mais jamais aussi longtemps, aussi intensément et aussi répandu sur le territoire”. C’est tristement vrai : aucune région n’a été épargnée par les températures négatives que l’on a connu la semaine du 6 avril 2021. Mais certaines ont été plus fortement touchées que d'autres.
Dans toute la France, pulls et écharpes ont été sortis des placards. Mais l'enjeu n'était pas de savoir où on avait rangé notre bonnet. Le vrai problème s'est invité à la nuit tombée, quand le soleil n'était plus là pour réchauffer l’air. “De 1h à 6 h du matin, il pouvait faire jusqu’à -4°C. Il gelait.”
Les vignes vivent par cycle
Et c'est justement ce gel qui a rendu la situation si catastrophique pour les vignerons et plus largement tous les agriculteurs. Pour mieux comprendre, imaginez que votre voiture passe l’hiver dans le garage. Pour qu’elle puisse faire un Paris-Grenoble quand vous la sortirez, il faut qu’elle ait ses batteries chargées à fond et que vous ayez fait le réservoir de carburant plein. Pour la vigne, c’est pareil : sans réserves, elle ne redémarre pas à la fin de l’hiver.
“Dès que les beaux jours reviennent et qu’il fait chaud, la vigne prend ça comme un signal que l’hiver est fini et qu’elle peut taper dans ses réserves pour faire pousser les bourgeons qui n’ont plus rien à craindre puisque la période de froid est passée.” Mais le répit aura été de courte durée.
Mode printemps activé
Le problème, c’est que le froid est finalement revenu la semaine dernière. Et les bourgeons qui avaient déjà éclos avec 15 jours d’avance ne sont pas armés pour supporter ces températures ni pour résister face aux glaçons qui détruisent les tissus et brûlent les feuilles. Les températures négatives ont créé du gel qui a détruit les bourgeons qui auraient dû donner des fruits dans les mois à venir. Selon Jean-Baptiste, 90% des récoltes en France sont perdues cette année.
Et même après ça, rien n'est gagné d'avance. “On peut connaître encore d’autres coups durs pendant la récolte, que ce soit la sécheresse ou une maladie qui toucherait les vignes. Tant que le vin n’est pas en fût, rien n’est joué.”
Quelles solutions d’appoints ?
Pas question de rester les bras croisés devant ce désastre. Les vignerons et propriétaires de domaine, à l'image de Jean-Baptiste Duquesne, tentent de limiter la casse en optant pour différentes stratégies de survie. Si certains chauffent les pieds de vigne avec des bougies ou des éoliennes chauffantes, d’autres prennent les devants et enferment volontairement les bourgeons dans des glaçons pour former un igloo protecteur.
Mais ces solutions de sauvetage demandent de l’organisation et des ressources, aussi bien matérielles que financières. Et ces coûts se répercutent forcément à un moment de la chaîne. Si ce n’est pas sur le prix d’achat, alors c’est le producteur qui absorbera la différence au risque de faire faillite.
Quant à Jean-Baptiste Duquesne, il envisage déjà des solutions pour que cela ne se reproduise plus. “Il faudrait tailler les vignes plus tard, comme ça le débit de sève sera moins important et les bourgeons mettront plus de temps pour sortir.” Mais, évidemment, c'est plus simple à dire qu'à faire.
“Tailler les vignes prend du temps, environ 1 semaine par hectare. Imaginons que l’on ait 40 hectares, il faut répartir le travail sur plusieurs semaines et certaines vignes seront forcément taillées plus tôt que d’autres. Par conséquent, leurs bourgeons sortiront plus tôt et seront exposés aux risques d’aléas climatiques”. Le mieux reste déjà de s'assurer de la bonne santé des vignes en amont. De ce côté-là, le propriétaire de Château Cazebonne a toutes les chances de son côté, lui qui chouchoute ses sols et ses vignes avec son agriculture biodynamique.
La cigale et la vigne, par Jean de la Fontaine
Heureusement, la vigne est aussi prévoyante que la fourmi. Elle a prévu des bourgeons de secours en cas de coup dur comme celui-ci. Mais elle ne peut pas non plus faire des miracles.
Si la plante a déjà brûlé une bonne partie - ou la totalité - de ses réserves en faisant pousser les premiers bourgeons, elle n’aura peut-être plus assez de carburant pour le refaire une deuxième fois. Et ne donnera donc pas de fruits. “On saura dans 1 mois, 1 mois et demi, si les bourgeons sortent et donnent des fruits.” Rendez-vous mi-mai pour le savoir et, d'ici là, soutenons les agriculteurs en cette période compliquée.
Un grand merci à Jean-Baptiste Duquesne du domaine Château Cazebonne pour avoir pris le temps de répondre à mes questions.